Desserrer les liens

J’ai passé tellement de temps à être furieuse contre ma propre vie, à essayer coûte que coûte de garder le contrôle sur les choses qui m’échappaient. Des années passées le poing fermé, à agripper de toutes mes forces ce qui explosait sous mes yeux : famille, relations, projets, …

J’ai été une forceuse -pas dans le sens le plus valorisant du terme : je n’ai pas été quelqu’un de persévérant, mais plutôt quelqu’un qui se voile la face, qui s’accroche aux lambeaux quand le sol se dérobe sous ses pieds. J’ai été quelqu’un qui continue à foncer tout droit jusqu’à ce qu’un mur lui dise stop. Jusqu’au fameux point de non retour, quand il est trop tard pour échapper à la piqûre de la douleur et à la période de brouillard qui s’ensuit inévitablement.

On aime se projeter, programmer certains pans de notre vie. Et il n’y a rien de mal à cela, au contraire : avoir un objectif à l’horizon est ce qui nous permet de constater qu’on avance. C’est une motivation, un genre de boussole. Mais à quel point serrons-nous les liens autour de nos projets -cette nouvelle idée d’entreprise, cette relation, cet achat de maison ? A quel prix -et pour quelle(s) raison(s), voulons-nous accéder à ces choses ?

En escalade, le grimpeur demande « du mou » lorsqu’il a besoin de davantage de corde pour avoir un mouvement plus ample, atteindre sa prise et ainsi pouvoir continuer son ascension.

La vie aussi a besoin de mou. C’est une énergie si puissante, si libre qu’elle ne peut pas être gardée en cage ni tenue en laisse. Elle ne peut pas être sous contrôle. Et quand nous refusons de lui laisser l’espace pour ajuster les choses à sa guise, elle a tendance à se déchaîner : au plus notre étau se resserre autour des choses que l’on aime et de celles que l’on désire, au plus on risque de les voir s’éloigner de nous ou nous échapper complètement avant même d’avoir pu les toucher du doigt.

De la plus petite chose aux situations les plus complexes -la frustration de recevoir un mail m’informant que mon avion est annulé, la déception de voir un proche ne pas m’exprimer son soutien dans une période difficile, la colère de me faire licencier d’un emploi du jour au lendemain… Je crois que tout ça, la déception, la frustration et la colère, existent uniquement pour 2 raisons qui vont de paire :

  • j’ai forcé des portes qui n’étaient pas pour moi ;

  • j’ai eu des attentes trop imposantes.

Je réalise que le fait de me laisser consumer par ces émotions a englouti une tonne de mon énergie et une énorme partie de ma vie. En ressassant tel ou tel événement et en me repassant en boucle les faits comme ils auraient dû, selon moi, se dérouler, j’ai refusé de clore des chapitres et d’en tirer les leçons associées. J’ai, par la même occasion, fermé la porte à de nouvelles opportunités, je me suis rendue indisponible à l’expérience de nouvelles choses. C’est un peu comme garder les yeux rivés sur son téléphone et rater le plus beau coucher de soleil de l’année…

Choisir de vivre sa vie avec détachement est souvent perçu comme un signe de désengagement, un manque de passion, comme un genre de neutralité. Je n’adhère pas à cette vision. Pour moi, le détachement n’est pas synonyme de je-m’en-foutisme. C’est le fait de garder constamment à l’esprit que :

  • rien n’est permanent, tout passe ;

  • ce qui est pour moi est pour moi : je n’ai pas à courir après (ce qui ne signifie pas que je n’ai aucune action ni aucun effort à faire !) ;

  • puisque tout évolue constamment, je peux à tout moment choisir de changer de direction si c’est nécessaire, ou si j’en ai envie. Et de changer d’avis. Et de changer tout court.

Le détachement n’est pas un processus facile au début. Je vois parfois cela comme un deuil qu’il faut revivre chaque jour, un choix qu’il faut sans arrêt refaire et se remémorer. Mais je commence à constater à quel point cette manière de vivre et de penser apporte de la légèreté et de la paix dans ma vie. Avancer avec détachement m’aide à discerner les choses qui méritent mon temps et mon énergie de celles qui n’en valent pas le coup : s’il y a un flow, si les événements se déroulent avec fluidité, je continue dans cette direction. Si je me heurte à un mur à plusieurs reprises, je ne m’obstine pas, je trace ma route.

Je m’efforce désormais de continuer à rêver ma vie, et de planifier, et de désirer toujours aussi fort. Mais avec détachement. Je n’ai pas revu mes exigences à la baisse, bien au contraire : je ne me contente plus du médiocre. Je ne me complais plus dans une situation dans laquelle je n’ai pas ma place, je ne m’attarde plus à une table à laquelle ma parole n’est pas entendue et ma présence négligée.

Je n’abandonne pas la partie, je ne me déclare pas vaincue. Je continue la main ouverte, en laissant les choses qui doivent se faire, se faire, et en laissant celles qui doivent se défaire, se défaire. Car que je le veuille ou non, la vie est plus forte que moi. Et j’ai la certitude qu’elle est de mon côté.

Les vents continueront à souffler à leur guise. Les imprévus existeront toujours, mais je leur laisse la possibilité d’être des balises simplement posées là pour me guider, pour me permettre de réajuster mon cap, de continuer mon ascension.

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